Les cathédrales alignées : Christian Cambois est biaisé par une carte

Résumé

Dans notre article précédent, nous avons démontré que Francis Mazière pouvait faire l’objet d’un biais cognitif en 1968 dans sa théorie d’un équateur penché, du fait d’assimiler un globe terrestre sphérique à la réalité de la Terre aux pôles aplatis ainsi oubliés.

Dans le présent article, nous allons voir que d’autres biais cognitifs peuvent être mis en jeu en prenant pour exemple l’hypothèse de Christian Cambois, publiée en 2016 sur Facebook et déjà critiquée dans le blog d’Irna Osmanovic[1].

Nous aborderons ici l’utilisation des cartes, toujours sur le fondement des connaissances élémentaires acquises en secondaire et rappelées en annexe à la fin du présent article. Notre démarche reste la même : il s’agit de démontrer que l’esprit critique est accessible à toutes à tous sans nécessité d’être un expert d’un domaine et sans avoir en particulier à être archéologue ou historien qui réclame de longues études et des spécialisations parfois complexes.

Notons que la question de la volonté de duper des pseudo-historiens n’est pas abordée car le doute est laissé qu’un biais cognitif peut « piéger » quiconque à son insu. Et nous n’oublions pas non plus que si Francis Mazière est décédé depuis 1994, Monsieur Cambois est bien vivant et peut donc lire la présente publication aussi. Car critiquer ne veut pas dire blesser.

Sommaire

  • Qui est Christian Cambois ?
  • Quel est le propos présenté par Christian Cambois en 2016 ?
  • Une observation plus qu’une hypothèse
  • Pourquoi le type de projection d’une carte est-il déterminant ?
  • Où se situe le biais cognitif en utilisant une carte ?
  • Qu’est ce qu’une loxodromie ?
  • Conclusion concernant l’hypothèse de Christian Cambois : il est biaisé
  • Annexes – Les notions fondamentales apprises à l’école
  • Définitions de points alignés en géométrie plane (dite euclidienne)
  • Les projections
  • Le datum d’une carte

Qui est Christian Cambois ?

Nous reproduisons ici ce qu’il dit de lui-même sur son profil Facebook[2] ou son site internet[3] : ancien cadre administratif de Police Nationale, né en 1953 à Toulouse, Christian Cambois-Bonnemaison vit actuellement en région rouennaise. Il se présente comme auteur, conférencier et médium, communiquant avec les défunts, intéressé par les « phénomènes inexpliqués » et les cathédrales.

Actif sur les réseaux sociaux, notamment pour vendre ses ouvrages, il est également présent et diffuse ses idées sur des chaînes YouTube comme Nuréa TV[4], où il initie à l’utilisation du pendule.

Il s’est ainsi fait remarquer par la communauté scientifique pour ses théories autour de la « géométrie sacrée » déjà largement traitée par d’autres auteurs. Ses hypothèses s’appuient sur les plans et les façades des édifices religieux, ainsi que sur un schéma d’implantation à un niveau national. Il établit des corrélations entre des édifices religieux distants de plusieurs centaines de kilomètres et chronologiquement lointains parfois – donc sans relation réelle sinon du culte catholique.

Sa démarche est en fait très similaire à ce que nous pouvons voir chez Howard Crowhurst et les sites mégalithiques par exemple, comme l’indique avec justesse le site d’Irna Osmanovic[5].

Quel est le propos présenté par Christian Cambois en 2016 ?

Une observation plus qu’une hypothèse

Voici la source qui fait l’objet de notre critique : une carte présentant des alignements supposés être entre des cathédrales connues. Notons qu’une cathédrale est l’église épiscopale d’un diocèse, une circonscription ecclésiastique placée sous la juridiction d’un évêque ou d’un archevêque. Il existe donc 94 diocèses[6] métropolitains selon l’Eglise Catholique – donc 94 cathédrales – qu’à l’évidence Christian Cambois a expurgé d’un grand nombre pour se limiter à celles-ci :

Carte des alignements remarquables de Christian Cambois publiée en octobre 2016 ©

Quel fut le critère de sélection des cathédrales ? Nous l’ignorons. Et que dire de cette carte ?

Nous remarquons la présence du Nord fléché en haut à droite ainsi qu’une légende en bas à gauche, mais sans précision de l’échelle – un détail de moindre importance : nous avons donc en tête les distances approximatives et savons que la France mesure 1000 km par 1000 km.

Cette carte est cependant trop synthétique et sa légende très incomplète : elle est en réalité un fond de carte de France sur laquelle des villes ayant des édifices religieux remarquables ont été localisées par l’auteur.

Certes, nous pourrions objecter que cette carte est imprécise du fait de l’échelle mais ce n’est pas là l’argument que nous allons mettre en avant.

Il est en effet une autre information qui est ici absente de la légende et qui est fondamentale : le type de projection utilisé.

Pourquoi le type de projection d’une carte est-il déterminant ?

Il y a un implicite dans cette carte de Christian Cambois : il est parti d’un fond de carte très probablement en projection cylindrique (la plus fréquente dans les éditions).

La question se pose alors de savoir quelle projection a été utilisée car plusieurs choix sont possibles : une carte de France en projection cylindrique, classique des éditions Michelin au 1/10 000 000 puis réduite au format du support ? ou bien est-ce une conique comme la carte OACI de l’aviation civile au 1/500 000 et disponible sur le site Géoportail, puis réduite elle aussi ?

Cette question peut sembler anodine mais elle ne l’est pas pour une raison mathématique : là où les parallèles et méridiens forment un canevas régulier de lignes parallèles et perpendiculaires en projection cylindrique, une projection conique voit ses méridiens converger vers un pôle et les parallèles être des arcs de cercle et non des droites.

Mais quel est l’impact de notre remarque sur l’observation de Christian Cambois ? Le plus fondamental qui soit car un bon nombre des alignements relevés sur cette carte ne le sont pas sur le terrain.

Où se situe le biais cognitif en utilisant une carte ?

L’erreur de traitement de l’information par le cerveau est très simple : elle consiste à assimiler la carte en 2D comme si elle avait les mêmes propriétés géométriques que la Terre en 3D.

Sauf que pour toute projection utilisée d’après le Theorema Egregium[7] de Carl Friedrich Gauss, démontré au début du 19ème siècle, « Il est impossible de plier une feuille de papier pour en faire une sphère ». En d’autres termes, toute carte est sujette à des distorsions mathématiques et ne peut pas être une représentation exacte du réel.

De ce théorème fondamental découlent les propriétés géométriques des cartes en fonction du type de projection utilisé comme nous l’indiquons dans notre annexe en fin de publication.

Et notamment, il n’existe pas de carte qui conserve les angles à un niveau global. Les seules cartes qui conservent les angles sont les projections conformes comme la carte de l’OACI de l’aviation civile et encore, les angles ne sont conservés que très localement, pour de très courtes distances.

Ainsi, un angle plat sur la carte ne correspond pas à une trajectoire régulière sur une longue distance et réciproquement une trajectoire linéaire à la surface de la Terre ne sera pas toujours une ligne droite sur une carte pour les mêmes raisons.

Ainsi, si nous prenons une projection cylindrique d’aspect normal, méridiens et parallèles sont des droites, mais pour toutes les autres projections possibles, c’est très rarement le cas.

C’est ce qu’illustre la figure ci-après en montrant les 12 familles de projection possibles et les rares alignements obtenus dans quelques cas particulier – notamment la projection cylindrique normale, la plus connue.

En fait, il faut choisir une carte spécifique pour obtenir exceptionnellement une droite sur celle-ci tout en ignorant toutes les autres cartes possibles.

Schémas des différents types de projection[8]

Qu’est-ce qu’une loxodromie ?

Nous ouvrons une rapide parenthèse pour vous présenter une notion bien connue des marins : la loxodromie. Elle consiste à prendre un cap et à le conserver tout du long de son déplacement.

On obtient alors un déplacement sur la Terre qui est en spirale et non pas sur un équateur comme l’illustre la figure suivante. Car pour faire le tour de la Terre selon un « équateur penché », il faut corriger son cap en permanence pour compenser l’effet de la loxodromie.

Schéma d’une spirale résultat d’une loxodromie

La loxodromie permet maintenant de comprendre une chose fondamentale : tracer une trajectoire rectiligne sur une carte selon un axe quelconque (autre que le long des méridiens ou parallèles), revient à prendre un cap constant sur le terrain, et donc, emprunter une trajectoire qui est en réalité une spirale conduisant à l’un des deux pôles.

En revanche, prendre un cap en ligne droite selon l’un des quatre axes cardinaux amènent une trajectoire circulaire ou elliptique car l’angle est égal à zéro, annulant la loxodromie.

Conclusion concernant l’hypothèse de Christian Cambois : il est biaisé

Si nous reprenons la carte de Monsieur Cambois, nous pouvons isoler les alignements qu’il indique en trois familles : les lignes « verticales » qui correspondent à des méridiens, donc des ellipses en 3D, les lignes « horizontales » qui correspondent à des parallèles, donc des cercles en 3D, et enfin les lignes ni verticales ni horizontales qui correspondent à des caps constants, donc des spirales à la surface de la Terre du fait de la loxodromie. Ainsi, le biais cognitif auquel Monsieur Cambois est mis en évidence : il s’est laissé abuser par l’usage d’une carte en projection cylindrique.

Afin d’illustrer notre propos, nous représentons ci-dessous deux des alignements de cathédrales de Quimper, Saint-Brieuc, Coutances et Lille, d’une part, Amiens, Arras et Metz d’autre part, alignées sur la carte de Monsieur Cambois, mais non alignées sur la carte de l’OACI conique ci-dessous avec des écarts mesurés de plusieurs kilomètres :

Cathédrales non alignées en projection conique

Bien sûr, il reste quelques alignements qui correspondent effectivement à un méridien ou un parallèle, mais en écartant les spirales des loxodromies, nous retirons 35 lignes de sa carte.

Cependant, si l’hypothèse était d’affirmer une intentionnalité des bâtisseurs à choisir des lieux alignés, cela revient à dire que ces mêmes bâtisseurs étaient nécessairement munis de la même carte choisie par Monsieur Cambois avec la même projection.

Alors, qu’est ce qui peut justifier aujourd’hui de choisir une carte plutôt qu’une autre ? En ne retenant que la seule carte de France en projection cylindrique, Monsieur Cambois fait aussi ce biais d’ignorer délibérément toutes les autres cartes sur lesquelles aucun alignement ne peut être mis en évidence.


Annexes – Les notions fondamentales apprises à l’école

Pour les définitions des pôles terrestres et magnétiques, de la coplanarité d’un ensemble de points, d’un équateur dans son sens mathématique et de l’ellipsoïde, nous vous renvoyons vers les annexes de l’article précédent.

Définitions de points alignés en géométrie plane (dite euclidienne)

Trois points (ou plus) sont dits alignés en géométrie plane s’ils sont portés par une même droite. Autre définition : si nous prenons trois points distincts sur une droite donnée, ils forment un angle plat, c’est-à-dire de 0° ou de 180°.

Les projections

Pour construire une carte, il faut passer d’un espace à trois dimensions vers un espace à deux dimensions, cette transformation géométrique se nommant une projection. Il existe une multitude de projections, celles-ci n’ayant pas les mêmes propriétés. En effet, les projections sont toujours une déformation du réel. Il y a ainsi :

  • Les projections cylindriques de Mercator, inventée par ce mathématicien en 1569
  • Les projections coniques, les plus connues étant celles de Lambert
  • Les projections planes tangentielles
  • Etc.

Dès le collège, nous apprenons que les cartes ne conservent pas toujours les distances mais également qu’il existe :

  • Des projections conformes qui conservent localement les angles, et donc exclusivement sur de courtes distances
  • Des projections équivalentesqui ne conservent pas les angles mais conservent les surfaces
  • Des projections aphylactiques qui ne conservent ni les angles ni les surfaces

Le datum d’une carte

Rappelons que sans légende une carte ne veut rien dire. Le datum, notion moins connue, est un élément fondamental des cartes correctement normées. Il s’agit de la partie de la légende de la carte qui mentionne la projection utilisée, l’ellipsoïde de référence, ainsi que toutes les informations géodésiques indispensables pour se repérer avec exactitude.

Sans le datum, il est donc impossible de savoir comment utiliser la carte.


[1] Cf. https://irna.fr/Debunk-express-1-Alignement-des-Cathedrales.html consulté le 30/04/2023

[2] Cf. https://www.facebook.com/christian.cambois consulté le 04/02/2023

[3] Cf. https://www.christiancambois.com/bio consulté le 04/02/2023

[4] Cf. https://www.youtube.com/watch?v=BOOaEt3sq8c consulté le 04/02/2023

[5] Cf. https://irna.fr/La-geometrie-des-Anciens-pour-les-nuls.html consulté le 04/02/2023

[6] Cf. https://eglise.catholique.fr/ consulté le 04/02/2023

[7] Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Theorema_egregium consulté le 04/02/2023

[8] Cf. http://www.in-terre-active.net/?p=129 consulté le 04/02/2023

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