L’équateur penché : Francis Mazière est bien biaisé !

Résumé

La présente publication est la première d’une série démontrant les mauvais usages des outils cartographiques entrainant des biais cognitifs, c’est-à-dire un mauvais traitement de l’information par le cerveau. Ces biais sont à l’origine de nombreuses hypothèses mises en avant par les pseudo-historiens, notamment sur des alignements « remarquables » de sites pourtant sans relation culturelle ou chronologique.

Nous ne reviendrons pas sur le travail d’invalidation[1] déjà réalisé dans ce domaine par des arguments historiques ou archéologiques et nous appuierons uniquement sur des éléments cartographiques, mathématiques ou d’autres disciplines en complément.

Notre objectif est de montrer que l’esprit critique peut prendre plusieurs chemins pour invalider une hypothèse fantaisiste, leurs auteurs ayant d’ailleurs le plus souvent oublié des connaissances générales qu’ils ont pourtant probablement acquise dans leur scolarité. Car l’esprit critique n’est pas affaire de spécialistes : il est accessible à tous pourvu qu’on le recherche.

L’objectif de cette publication est de démontrer que l’affirmation de Francis Mazière de l’existence d’un équateur penché est invalide, ce dernier étant clairement sujet à un biais cognitif du fait des outils qu’il a lui-même employé.

Nous précisons ici que les connaissances nécessaires pour comprendre ce qui suit sont du niveau secondaire, les notions de cartographie sur lesquelles nous nous appuyons sont au programme d’une classe de 5ème, donc largement diffusées et indiquées en annexe de la présente publication.

Sommaire

  • Le point de départ : quel est le propos de Francis Mazière ?
  • L’hypothèse posée dans une émission diffusée en 1968
  • Comment comprendre son propos ?
  • Comment Francis Mazière a-t-il pu faire cette observation ?
  • Conclusion : Francis Mazière est biaisé
  • Annexe – Les notions fondamentales apprises à l’école
  • Pôles géographiques et pôles magnétiques
  • Définitions des points coplanaires, section, disque, cercle et équateur
  • La Terre est un ellipsoïde

Le point de départ : quel est le propos de Francis Mazière ?

L’hypothèse posée dans une émission diffusée en 1968

Tout commence avec l’affirmation de Francis Mazière le 27 avril 1968 dans l’émission de la Radio Télévision Suisse, Cap sur l’aventure, qui lui est dédiée, avec le titre À la recherche des survivants du déluge.

https://www.rts.ch/archives/tv/jeunesse/cap-sur-l-aventure/5455272-francis-maziere.html

Francis Mazière affirme avoir le diplôme d’archéologue sans que nous puissions trouver preuve de cette affirmation pour autant. Francis Mazière est donc au moins écrivain. Et il se présente ainsi au travers d’une narration d’aventures, parfois idéologique dans ses motivations, et qui ne restitue en aucun cas un travail archéologique sérieux comme on l’attendrait aujourd’hui.

Vers la 45ème minute, il indique : « Les moais de l’ile de Pâques sont sur un point géodésique précis où passait autrefois l’équateur magnétique. Vous apprendrez ça à l’université. Ah, il y a un globe ici, pour une fois je peux vous montrer quelque chose qu’on enseigne pas ailleurs. Voici, l’équateur normal, et vous avez ici l’équateur magnétique. C’est l’ancien axe de rotation de la Terre en réalité. Cet équateur varie des fois de 4 à 5°. Et vous remarquerez que toutes les fusées spatiales qui parcourent le monde actuellement (donc en 1968) ne passent jamais sur l’équateur, mais sur l’équateur magnétique. Il y a ici un champ magnétique extraordinaire. […] C’est ainsi que certaines choses importantes ont été construites ici sur l’équateur magnétique terrestre. Je pensais pas vous le dire et puis c’est parti …. »

Il ajoute peu avant la 47ème minute] « nous pensons que pas certains mais la plupart des dolmens sont de la même civilisation [ndla : que celle de l’Île de Pâques] … ils datent de 10 millénaires avant le Christ ».

Dans ces propos ciblés de l’émission, Francis Mazière ne parle que d’un seul point géographique : l’île de Pâques. Il n’y a donc là aucun autre site archéologique matérialisant un alignement bien qu’il les évoque sans les nommer sinon vaguement par l’expression « choses importantes construites ». Dans son idée initiale, il parle surtout d’une ligne tellurique passant par cette île qui devient un équateur magnétique dans sa bouche, puis l’ancien axe de rotation de la Terre.

Il lie le geste à la parole à la 46ème minute en décrivant avec son pouce sur le globe terrestre une ligne reliant approximativement l’Amérique Centrale à l’Île de Pâques.

Comment comprendre son propos ?

L’hypothèse présentée par Francis Mazière est indiquée vers la 20ème minute par un appel à la tradition de la peuplade qu’il visite en Amazonie « de continuer la poursuite du soleil couchant ». Il suppose ainsi que ce peuple amazonien a été jusqu’en Polynésie. Il y a donc en arrière-plan la théorie d’un peuplement de l’îles de Pâques depuis les côtes du Chili par les sud-amérindiens, une thèse qu’il partage avec le célèbre navigateur norvégien Thor Heyerdahl. à l’origine de l’expérience du Kon Tiki en 1947, exposée en 1952 dans un livre[2], la même année où Francis Mazière effectue son voyage – et qu’il évoque d’ailleurs vers la 50ème minute de l’interview.

Pour Mazière et tant d’autres, des navigateurs « d’autrefois » auraient donc pris une boussole à une époque où le pôle nord magnétique était très différent d’aujourd’hui, qu’ils auraient alors navigué « droit vers l’Ouest » (auquel cas ce n’est pas le couchant mais un ouest magnétique …).

Cette vision ethnocentrique qui voudrait que l’Europe soit ainsi le point de départ de toutes cultures avait déjà été invalidée par les recherches archéologiques et linguistiques. Cette invalidation a été confirmée par la génétique montrant que les Pascuans sont arrivés de l’Ouest (de la Polynésie). C’est le résultat d’une étude génomique menée par Alexander Ioannidis de l’Université de Standford sur 430 habitants de l’île en 2015, et relayée par plusieurs articles de presse dont cet article en ligne dans le magazine Geo[3] qui cite l’étude parue dans Nature[4] en anglais.

Cependant, dans ce propos de Francis Mazière confond les deux notions d’axe de rotation et d’axe des pôles magnétiques : « C’est l’ancien axe de rotation de la Terre en réalité ». Il dit donc en substance que le Nord magnétique était aussi le pôle Nord terrestre en ce temps-là.

Comment Francis Mazière a-t-il pu faire cette observation ?

Francis Mazière utilise un globe terrestre. Or ces derniers sont toujours sphériques, jamais aplatis sur les pôles. Nous notons que Francis Mazière confond l’axe de rotation de la Terre et l’axe des pôles magnétiques, sa confusion trahit ici un biais cognitif évident en ce sens que Mazière assimilerait donc un globe terrestre avec la Terre elle-même comme parfaitement sphérique.

Ce qui déjà en soi est très surprenant !

Il oublie donc que l’aplatissement des pôles aurait dû alors s’observer ailleurs qu’aux deux emplacements actuels si son « équateur » avait été anciennement celui de rotation de la Terre, un oubli seulement possible si l’on pense que la Terre est sphérique.

Cet élément est ici au cœur de notre démonstration car la Terre est aplatie aux pôles du fait de la force centrifuge que sa rotation imprime, comme n’importe qu’elle objet en rotation : la force centrifuge éloigne de l’axe de rotation la matière, provoquant un renflement à l’équateur et un aplatissement aux deux pôles symétriquement comme l’atteste cet article publié par l’Ecole Normale Supérieure de Lyon[5]. C’est même cette propriété qui est utilisée par Isaac Newton pour démontrer le double aplatissement :

« Newton cherche à calculer l’aplatissement de la Terre en supposant qu’elle soit fluide et homogène et en utilisant sa théorie de l’attraction universelle en 1/r2. Il se sert d’un procédé astucieux : il considère que deux colonnes fluides partant l’une du pôle et l’autre de l’équateur et se rejoignant au centre de la Terre doivent se faire équilibre. L’égalité du poids des deux colonnes implique que la colonne rejoignant l’équateur, dont la pesanteur est diminuée par la force centrifuge, soit plus longue que celle rejoignant le pôle. Pour son calcul, il doit déterminer l’attraction au pôle et à l’équateur d’un ellipsoïde de révolution, et c’est la première fois que l’attraction d’un corps non-sphérique est calculée. Il trouve un aplatissement de 1/230. »

DEPARIS, Vincent, « La forme de la Terre : plate, oblongue ou aplatie aux pôles ? », 2001, Maison des Sciences de l’Homme – Alpes, Grenoble

Bien évidemment, Francis Mazière aurait pu limiter son hypothèse à « c’est l’ancien équateur magnétique » mais se faisant, il pousse son hypothèse trop loin en confondant les deux notions.

Il nous dévoile ainsi lui-même le biais cognitif auquel il est sujet sans s’en apercevoir.

Conclusion : Francis Mazière est biaisé

En 1968, Francis Mazière ne définit aucun équateur à l’aide de données numériques précises, sinon son alignement l’Île de Pâques. À partir d’une description finalement très sommaire dans une émission de télévision et avec un globe terrestre sphérique, Francis Mazières montre sa confusion et ses méconnaissances en matière d’axe de rotation de la Terre et d’axe des pôles magnétiques.

Accordons-lui le bénéfice du doute en supposant qu’il est ici sujet à un biais cognitif, et non pas qu’il cherchait délibérément à duper un public d’adolescents devant les caméras …

En revanche, si l’on considère que l’idée de Francis Mazière est le point de départ des hypothèses d’équateurs penchés qui suivront, l’on ne peut que constater que ces successeurs ne sont pas partis avec une base solide.

Nous reviendrons donc sur l’équateur penché dans d’autres publications.


Annexes – Les notions fondamentales apprises à l’école

Pôles géographiques et pôles magnétiques

Nous apprenons à l’école qu’il existe deux types de pôles. Il y a les pôles géographiques « vrais » qui correspondent à l’axe de rotation de la Terre. Et il y a les pôles magnétiques indiqués par une boussole.

Ces deux types de pôles ne coïncident pas : les pôles magnétiques varient d’année en année légèrement. Il est possible aujourd’hui de recalculer périodiquement leurs positions.

Et on appelle paléomagnétisme la science qui étudie les déplacements des pôles magnétiques durant les ères géologiques.

Définitions des points coplanaires, section, disque, cercle et équateur

Si l’on considère un espace en trois dimensions, alors l’ensemble des points d’un même plan sont dits coplanaires.

Si nous considérons maintenant une sphère en trois dimensions, coupée par un plan en deux dimensions, la section obtenue est constituée de points coplanaires formant un disque d’une part, d’autre part, la courbe qui délimite ce disque est toujours un cercle, lui aussi formé de points coplanaires.

Si cette section passe par le centre de la sphère, le cercle est appelé équateur et la coupe est dite équatoriale. S’il ne passe pas par le centre de la sphère, la coupe est non équatoriale bien que l’intersection reste un cercle de points toujours coplanaires.

Un équateur est donc un cercle imaginaire inclus dans un plan perpendiculaire à un axe de la sphère.

La Terre est un ellipsoïde

Nous apprenons que la Terre n’est pas sphérique. En réalité, elle est aplatie sur les pôles, donc qu’elle est un ellipsoïde, chose qui fut démontrée par Isaac Newton en 1687.

Dans les faits, la Terre est un patatoïde très déformé et la sphère comme l’ellipsoïde ne rendent pas compte du relief réel de la planète.

En conséquence, lorsqu’on s’intéresse à des équateurs terrestres, l’on peut alors considérer que la Terre est un ellipsoïde par approximation et que les coupes réalisées par un plan sont toujours des ellipses à l’exception des coupes réalisées perpendiculairement à l’axe des pôles qui sont des cercles.

Nous obtenons ainsi une infinité d’équateurs par cette méthode géométrique.

Mais il existe deux équateurs particuliers parmi cette multitude : l’équateur géographique défini comme étant orthogonal à l’axe des pôles et du plus grand diamètre possible (il est circulaire), et l’équateur magnétique, orthogonal à l’axe des pôles magnétiques, a priori lui aussi le plus large possible, mais qui est donc elliptique et non pas circulaire.

Sur les cartes du monde que nous trouvons dans le commerce, c’est toujours l’équateur terrestre qui est représenté en conséquence car il est stable, alors que le magnétique se déplace et est donc d’un usage plus difficile pour se repérer.


[1] SEYDOUX, Alexis, Un équateur penché impossiblehttps://www.academia.edu/39343993/Un_%C3%A9quateur_pench%C3%A9_impossible 

[2] HEYERDAHL, Thor, American Indians in the Pacific, The Theory Behind the Kon-Tiki Expedition, 1952

[3] Cf. https://www.geo.fr/histoire/des-samoa-a-lile-de-paques-ladn-remonte-la-route-du-peuplement-de-la-polynesie-206429 consulté le 03/02/2023

[4] Cf. https://www.nature.com/articles/s41586-021-03902-8 consulté le 03/02/2023 (en anglais, payant)

[5] Cf. https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/histoire-forme-Terre.xml#oblongue-aplatie

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